Motocross History : Comment êtes-vous venu dans le monde de la moto ?
Serge Regourd (SR) : J‘y suis né ! Mon père, Gilbert a crée l'un des tous premiers motocross en France, dès la Libération ! Ce n'était pas du motocross comme on l'entend aujourd'hui car il y avait des portions goudronnées. Le premier a eu lieu en 1947 sur un circuit mixte terre-goudron. Mon père a été le concepteur du motoclub en 1946 sous le nom à l'époque de "Comité Auto-Moto-Courses de Laguépie". Mon père était devenu un amateur de moto, il se déplaçait avec très souvent.
Je poursuis avec l'historique du club, pour vous raconter comment j'y suis vraiment né ! Mon père faisait partie d'une génération qui avait connu l'occupation pendant la guerre de 1939-1945. Il était devenu résistant, puis était entré au Parti Communiste. Au sortir de la guerre, lorsqu'il a organisé le motocross, avait lieu aussi la fête du Parti Communiste. Roger Garaudy et d'autres sont venus de Paris pour prononcer des discours ! Puis mon père s'est aperçu que c'était une "connerie" (ndl'a : à
prononcer avec l'accent !) de mélanger la politique et le sport. Il a décidé de rompre, mais cela n'a pas plu au Parti Communiste. Le motocross devait être autonome et ne devait pas avoir de couleur politique. Le motocross et la fête ont duré ensemble 2-3 ans.
Après avoir été maire de Laguépie, mon père a été battu aux élections. Avec Marcel Mercadier, gaulliste, ils avaient présenté une liste multicolore, "LA" liste du motoclub. Du coup avec cette défaite, il a quitté Laguépie, pour s'installer à Albi, en travaillant pour la SNCF. C'est à ce moment-là qu'il a crée IMP.
Qu'est-ce qu'IMP ?
(SR) :
International Motocross Promotion. C'est comme un agent, de nos jours. C'est une société qui gérait l'organisation de plusieurs pilotes. Il gérait tout. Il y passait sa vie. Il commençait tôt, il finissait tard. Il n'y avait pas d'internet à l'époque, c'était par téléphone, par télex. Comme il ne parlait pas anglais, c'est moi qui m'occupait de cette partie. Dans certains pays, il avait des correspondants : Serge Schellens en Belgique, Christopher Lavery en Angleterre. Et dans d'autres pays, il traitait en direct avec les pilotes car il n'avait pas de correspondants comme en Suède.
De quels pilotes s'occupait-il ?
(SR) : La liste est longue de noms et aussi de nationalités pas courantes à l'époque! Yougoslavie, Norvège, Venezuela, Australie, Ecosse ! Parmi les pilotes il y avait J.Robert, A.Jonsson, J.Banks, H.Carlqvist, N.Hudson, R.Harvey, G.Reiter, A.Malherbe, H.Andersson, T.Hansen, M.Wiertz, V.Allan, D.Nicoll, A.Lee, W.Kalberer, S.Haugerud, H.Komppa, G.Rond, H.Schmitz, R.Dieffenbach, F.Kobele, J.Stuart, F.Munoz, G.Vertemati, J.Zupin, Herrera, T.Gunter, M.Combes, M.Ollier, JJ.Bruno, JC.Gomez et bien d'autres...
Avez-vous encore des contacts avec les anciens pilote de l'IMP ?
(SR) : Hélas, pas beaucoup. avec quelques pilotes français, des amis comme Michel Combes, ou des plus âgés revus par d'autres réseaux comme Rémy Julienne grâce au cinéma. Mais plus de contact avec les nombreux pilotes étrangers. Il y en a que j'aimerais vraiment revoir...
Revenons à l'histoire de Laguépie, c'est grâce à votre père que les premiers pilotes soviétiques sont arrivés en France ?
(SR) : C'était extraordinaire ! Il y avait eu une couverture dans Moto Revue et un
article dans l'Equipe. Ce fut un événement politico-sportif. Mon père cherchait à innover et eut l'idée de recevoir des pilotes soviétiques. Ce n'était pas évident à l'époque car, la Fédération Soviétique n'était pas membre de la FIM. il a établi des contacts avec la Fédération Soviétique grâce à Monsieur Krouto, un habitant de Laguépie qui parlait russe et qui s'est occupé des traductions. Les deux pilotes, Andrei Dezhinov et Victor Pilaev sont arrivés par avion avec leur motos ! C'était des ESO mais elles n'étaient pas vraiment adaptées à notre circuit du Viaur. Malgré cela, ils ne furent pas ridicules. Ce fut une attraction extraordinaire. L'année d'après, nous avons été reçu en Russie. Russie ou URSS pour nous à l'époque, c'était la même chose !
Vous aussi ?
(SR) : Oui, j'étais adolescent. Ce fut un voyage extraordinaire ! Le Motoclub de Laguépie a été choisi comme représentant de la France pour le Grand Prix d'URSS. Une délégation est partie de Laguépie jusqu'à Moscou. La FFM
avait donné des documents, des maillots. Les quatre pilotes furent René Combes, Jean Cros, Jacques Schmid et Gérard Ledormeur. Nous avons effectué le voyage en voiture sur des remorques. Mais Moscou n'était que la moitié du chemin ! Il fallait encore aller à Tbilissi en Géorgie ! Nous avons cette fois pris le train. Avant d'entrer en URSS, je me souviens que nous étions passés par la Pologne et nous avions crée l'attraction avec nos voitures, les DS de chez Citroën ! Les gens
applaudissaient les voitures !
Cet échange de pilotes et délégation a été un peu le détonateur de la participation des pilotes soviétiques aux Championnats du Monde, car ils n'y participaient pas auparavant. Ce Grand Prix d'URSS avait le nom de Grand Prix, mais il ne faisait pas partie de la série des Grands Prix du Championnat du Monde. C'est comme cela que nous avons vu les As soviétiques arriver ; Arbekov, Grigoriev, etc...Et puis plus tard, les Tchèques. Mon père les a découverts.
Et vous êtes allés en Tchécoslovaquie aussi ?
(SR) : Oui ! C'était d'autant plus facile que Laguépie et jumelée avec Holice, la ville où se déroulait chaque année le Grand Prix de Tchécoslovaquie. C'était très intéressant d'y aller car il y avait le Grand Prix et aussi les deux usines, Jawa et CZ. J'y ai rencontré la fameux mécanicien de Joël Robert, Viktor Lahita. Puis se sont ouverts d'autres pays,
l'Allemagne de l'Est. Paul Friedrichs et d'autres pilotes sont venus à Laguépie.
Revenons à Laguépie, le Trophée des As, qu'est ce qu'est ?
(SR) : L'invention du Trophée des As est partie de plusieurs constats : d'abord en France, il était impossible d'obtenir l'organisation d'un Grand Prix chaque année. Ensuite il n’existait pas, comme en cyclisme par exemple, de "classique", revenant chaque année avec une garantie de réunir les meilleurs, enfin, la séparation à l'époque des championnats 250cc et 500cc, puis des 125cc, ne permettait pas de faire se confronter ou de présenter les meilleurs de chaque catégorie. Les Trophées des As se sont proposés e relever ces défis. Rapidement une date a été ritualisée : le 15 Août. Cette date était magique pour moi, car c'était pendant les grandes vacances et je l'attendais ce 15 Août ! Il était plus important que le 25 Décembre ou le 1er Janvier ! On préparait cet événement longtemps à l'avance, puis "j'avais la gueule de bois" car la fête était finie !
Il y a eu plusieurs circuits à Laguépie ?
(SR) : Oui, trois en tout. Le premier, le circuit du Viaur jusqu'à 1959. Il se situait en dehors du village, entre les deux rives des cours d'eau Viaur et Aveyron. Le deuxième, le circuit de Bally, jusqu'au début des années 1980 environ et le troisième, le circuit Joël Robert. Pour l'anecdote le dernier s'appelle Joël Robert, mais il a été dessiné par trois grands pilotes : le grand champion belge bien sûr et Michel Combes et Neil Hudson.
Avez-vous couru en motocross ?
(SR) : Oui, mais je n'étais pas très brillant. Vu l'histoire de mon père avec ce club et ce sport, il eut été impossible de ne pas être tenter de rouler ! J'ai eu une CZ, puis une Maïco. J'ai participé au Trophée des Espoirs, mais j'ai arrêté rapidement ! Premièrement, je n'étais pas mécanicien, même si j'ai vu après, que de très grands pilotes n'étaient pas très bon mécaniciens. Et deuxièmement, j'ai privilégié mes études.
Vous avez collaboré aux Cahiers du Cross, êtes-vous journaliste de formation ?
(SR) : Non, j'ai effectué des études de droit. Mais j'y ai plus que collaboré, vu que je les ai créées !
Je ne savais pas ! comment cela s'est-il déroulé
(SR) : J'avais réalisé quelques piges pour Moto Revue et Moto Journal, puis j'ai rencontré un éditeur. comme le motocross n'était pas assez présent dans la presse, je me suis dit qu'il fallait en parler plus. C'est grâce aux
Cahiers, que de jeunes journalistes ont commencé : Patrick Boulland, Pascal Haudiquert. Il y a eu d'autres collaborateurs, Edmond Luyten de Belgique, Livio de Nadaï et bien d'autres. A cette époque, j'étais basé à Clermont-Ferrand et j'allais souvent à Paris pour les Cahiers, je ne comptais pas les heures, je n'étais pas payé (que les frais de déplacement), c'était la passion !
Pourtant on ne voit pas votre nom dans le magazine ?
(SR) : Normal, j'avais un pseudo ! Comme j'étais fonctionnaire, je ne pouvais pas
cumulé les fonctions. Ce pseudo, c'était Serge Lapointe ! J'étais fan du chanteur Bobby Lapointe. Lors des motocross il y avait toujours un orchestre et je chantais du Bobby Lapointe ! Une fois, l'année du titre de Joël Robert, nous étions sur le podium tous les deux, nous chantions du Bobby Lapointe et les spectateurs étrangers voulaient que l'on traduise ! Mais Bobby Lapointe était intraduisible !
Vous avez eu une autre casquette dans le milieu de la moto : président du motoclub de Laguépie ?
(SR) : Oui, mon père ayant été président du motoclub, je l'ai aidé pendant des années. Puis je lui ai succédé à partir du Grand Prix de 1997. Je m'occupas de la communication et des relations presse d'une part et des relations avec les pilotes en tandem avec mon père, d'autre part.
Quelle fut votre plus grande réussite à ce poste ?
(SR) : Difficile à dire. C'est un tout. Mais l'essentiel des réussites est dû à mon père. C'était lui, l'âme du motocross de Laguépie, du Trophée des As et de l'IMP ensuite. Je n'étais en quelque sorte que son second...Lui, y consacrait sa vie...
Sselon vous, quel Grand Prix, fut le plus beau à Laguépie ?
(SR) : A mon avis, le premier Grand Prix, en 250cc, en 1964. Parce que ce fut un événement unique, impossible ensuite à renouveler : 34 000 entrées payantes. Je pense que personne n'a jamais pu réaliser cela. Même la moitié ensuite fut considérable. Et puis, ce fut le premier couronnement de Joël Robert, qui devint un ami proche et un fidèle de mon père.
Quel est votre meilleur souvenir parmi toutes vos activités dans le motocross ?
(SR) : Curieusement, je crois que ce sont les troisième mi-temps des Grand Prix. A Laguépie, c'était trop stressant : peur de la pluie, peu qu'il n'y ait pas suffisamment de public pour couvrir les frais, peur qu'une Star annoncée ne vienne pas...Lors des Grands Prix étrangers, j'étais spectateur, supporter ou journaliste pour diverses revues. Et le soir des Grands Prix mémorables, c'était la fête avec Joël Robert, Hakan Carlqvist et beaucoup d'autres...