Motocross History : Comment es-tu venu dans le monde de la moto ?
Jacky Vimond (JV) : Tout simplement avec mon père qui faisait de la moto au début des années 60. De mémoire, il a participé à sa première course en 1963 et la même année il a organisé une épreuve de motocross. Et puis aussi mon frangin que j'ai suivi sur les courses. Quand j'étais gamin, je trainais dans le garage, j'allais sur les circuits. Je voulais suivre mon frère ainé, Denis, je l'aidais à faire sa mécanique. Dans ces conditions, on peut difficilement éviter de tomber dans ce milieu. J'ai pris le virus tout naturellement. Quand on est gamin sur un vélo, on saute sur les trottoirs, on se prend à rêver à faire du motocross.
Quand es-tu monté sur une moto pour la première fois ?
JV : C'est assez loin, c'était sur une BSA. C'était une ancienne moto de Dave Nicoll ou Andy Lee, une vraie moto, car sinon, plus petit, j'avais eu une Flandria. J'avais enlevé les gardes-boue. C'était compliqué, car j'étais trop petit pour la pousser au démarrage et du coup, il ne fallait pas que je cale !
Te souviens-tu de ta première course ?
JV : Je me souviens très bien, c'était en 1976. Il y avait une Honda Elsinore neuve dans le garage. Pour qui c'était ? Mon père et mon frère avaient gardé le secret. Ils m'avaient dit "on doit emmener la moto à une course à St James, on doit la livrer à quelqu'un". Sur place, mon père me dit "c'est pour toi". J'ai failli gagné la course. J'étais tombé dans une ornière et je m'étais fait doubler. On m'avait engagé sans avoir l'âge, j'avais 15 ans.
Dans quel état d'esprit étais-tu ?
JV : Comme ce n'était absolument pas prévu, je n'avais pas eu le temps d'y penser. D'habitude, je roulais avec la moto de Denis, une moto usée. J'ai eu plus d'émotion pour la moto neuve que pour la première course.
Tu as roulé chez les schoolboys en Angleterre. Dans quelle mesure cela t'a aidé pour ta carrière ?
JV : Ca m'a aidé à me construire. Ces voyages, c'était une épopée ! On poussait les motos dans la cale du ferry et à l'arrivée on les débarquait pour les charger dans une camionnette Renault 4L que mon père laissait en Angleterre, à Southampton. Mais on retrouvait les pneus crevés à cause de la plaque française ! Une fois les motos démontées et chargées, mon frère à l'arrière coincé avec les motos, nous nous rendions sur les circuits. Les schoolboys, c'était une vraie compétition. Il y avait deux catégories. Je roulais avec une 50cc. Bien qu'étant le plus âgé, je n'ai jamais gagné de courses. Je n'ai roulé que deux fois avec les petits, puis je me suis dit qu'il fallait quand même que je roule dans la catégorie du dessus, les 100cc. Papa a donc trouvé une Kawasaki routière qu'il a arrangée en cross.
Tu as participé à des courses en France avant l'âge requis. Etais-tu dans les classements ?
JV : effectivement, j'ai roulé avant l'âge, mais je n'étais jamais cité dans les rapports de clôture. J'étais quelques fois convié sur le podium à l'occasion d'un bon résultat, mais ce n'était pas la priorité. L'essentiel était de pouvoir participer à la course. et qu'importe la catégorie dans laquelle j'étais inscrit. Vu qu'en Normandie on était trop à cheval sur le règlement, j'ai roulé essentiellement en Bretagne durant cette période, là où Denis roulait.
Quel effet cela te faisait de battre des pilotes plus âgés que toi ?
JV : Rien. La moto était pour moi un moyen d'expression. J'étais tout simplement heureux de pouvoir rouler. Cela me rassurait !
1978 : 16 points d'avance avant la finale sur Eric Robert, étais-tu confiant pour le titre ?
JV : Quand on est gamin, on n'a pas ce genre de stress. Cela reste un de mes meilleurs souvenirs. Le junior représente mes plus belles années, il y avait le partage, l'inconscience. On découvrait les régions de France, on retrouvait les copains, il y avait les courses, c'était génial ! Et en plus, ça ne se passait pas trop mal pour moi. Sauf pour la finale, j'avais cassé deux moteurs et on m'avait prête une moto. Finalement, je remporte le titre !
Le changement de BPS vers Suzuki ne t'a pas trop perturbé ?
JV : Le plus perturbant, c'est que BPS a tenté un procès. Nous avions constamment des problèmes avec la moto. Sois je gagnais, soit je cassais, j'ai quatre DNF. Papa avait réclamé des changements. A Vesoul, il a dit "si on a encore des problèmes, on arrête !" A l'épreuve suivante d'Is sur Tille, ils étaient venus avec un gros camion. Mais j'ai cassé 3 fois, donc nous avons arrêté. Notre contrat stipulait de ne pas rouler sur une moto concurrente. Nous avions donc dissimulé la marque Suzuki. Un huissier était venu et avait constaté que ce n'était pas une BPS, mais n'a pas pu prouver que c'était une autre marque !Ce n'est pas une BPS !**
Avec le recul, as-tu préféré ce titre qui était le premier ou un titre en inter ?
JV : Les titres qui sont arrivés après celui du Junior ont été remarquables. J'ai réalisé le doublé Junior-125 inter, ce qui était assez exceptionnel. Les titres en 125 inter, c'était une continuité. Mais je retiens le Junior. C'était un championnat dans lequel on retrouvait les mêmes pilotes sur des circuits différents avec un titre à la fin.
1979, tu montes en 125cc inter. Avec 19 points de retard avant les deux dernières épreuves, as-tu pensé que le championnat était perdu ?
JV : Non car la vitesse était là . J'avais des points de retard, car mon père avait voulu bricoler la moto et elle ne fonctionnait pas. Yamaha ne comprenait pas, car normalement elle fonctionnait et mon père n'était pas supposé toucher à la moto. Le mécano ne comprenait pas non plus. La moto ne doit pas serrer quand on coupe les gaz. Ce qui est étonnant, c'est que je n'ai pas souvenir de m'être posé la question : "est-ce je vais devenir champion ?" Peut-être à la fin du championnat ? En tout cas, Yamaha a imposé à Papa de ne plus toucher à la moto !
1980 et 1981 : 3 doublés et 8 victoires de manches à chaque fois. Ce sont plutôt des championnats faciles ?
JV: Oui. C'est assez loin dans ma mémoire. Je n'ai pas eu beaucoup d'opposition ces années-là . Je gagnais les courses donc je pouvais les gérer.
1982 en 250cc, c'est la bagarre épique avec Daniel Péan ?
JV : J'avais demandé à Yamaha de rester en Grand Prix en 125cc et de rouler en championnat de France en 250cc pour que ça élève mon niveau et aussi pour anticiper les années futures. Cette année-là , j'étais beaucoup moins tranquille que les deux précédentes, lorsque je gagnais et que je pouvais gérer les courses ! Daniel ne me laissait jamais en paix !Il était vraiment décidé, bien préparé. Il s'est battu jusqu'à la dernière manche du championnat. C'est quelqu'un qui m'a aidé à progresser.
Cette année-là , tu termines 2ème du super championnat. Etait-ce une bonne idée ce championnat ?
JV : Oui. Quand on a des ambitions de scorer en mondial, on a envie de rouler avec les meilleurs. Là , il y avait les meilleurs pilotes en 125, 250 et 500. Sur 3-4 épreuves, cela permettait d'élever son niveau. On ne pourrait plus organiser cela aujourd'hui avec le matériel actuel.
En 1983, pourquoi montes-tu en 500 ?
JV : J'avais remporté le championnat 250cc l'année d'avant. Il fallait changer de catégorie pour grandir, pour acquérir de l'expérience. De toute façon je savais qu'un jour j'irais en 500cc.
Tu ne participes pas à tout le championnat car il y avait une concurrence avec trois Grands Prix ?
JV : Oui, je savais que le calendrier du mondial 125 était en concurrence de date, mais le but était de progresser, pas d'accumuler les titres. J'ai un beau souvenir de St James.
Justement, St James, c'est la prochaine question ! Tu n'as pas réussi à y gagner, Jean-Jacques Bruno était trop fort ce jour-là ?
JV : Oui. De toute façon, les têts d'affiche étaient en 500. J'y étais pour progresser. Jean-Jacques était officiel Suzuki, il avait de sacrés résultats en mondial. Je me suis inspiré de son pilotage. D'ailleurs cela me sert toujours aujourd'hui quand j'encadre des pilotes.
En super-championnat, tu abandonnes une manche à Arbis pour l'ouverture. Es-tu inquiet pour la conquête du titre ?
JV : Non. Bien que Patrick Fura ait remporté les deux manches, je n'étais pas inquiet. D'ailleurs, j'ai remporté les quatre suivantes et le titre.
1984, tu changes de catégorie. Quel sentiment t'a procuré le grand chelem en 250cc ?
JV : Rien de particulier. Mon père me le répète souvent, que j'y pensais souvent à ce grand chelem, mais je ne m'en souviens pas ! Peut-être qu'à l'époque vers la fin du championnat, je me suis peut-être dit que cela serait bête de la rater, mais je n'en ai pas souvenir.
1985, il n'y a que 11 points d'écart avant la finale. L'avais-tu abordé sereinement face à Yannig Kervella ?
JV : Oui car il ne me fallait qu'une septième place. Mais cela ne s'est pas passé comme je le souhaitais. J'avais fait une très mauvaise chute en première manche, j'étais resté un long moment à terre. Je suis reparti ais je n'ai pas pu terminer la course. Heureusement que j'ai gagné la deuxième manche, car le titre était assuré et je n'avais pas à courir la dernière manche. Comme c'était avant le GP des USA et que je menais le championnat du monde, je ne voulais pas prendre de risques.
Yannig Kervella, c'est ton grand rival en 250cc ?
JV : Oui, Yannig Kervella était très fort, si je faisais un petit écart, il était là . Il était teigneux, il ne renonçait jamais. Si tu le battais un week-end, le week-end d'après, il repartait de zéro pour gagner ! Il ne fallait pas le laisser penser qu'il pouvait me battre.
En super-championnat, vous terminez aux deux premières places, te souviens-tu d'avoir fêter le podium avec Christian ? ?
JV : Non je n'ai pas souvenir. Par contre, je peux te raconter les courses. En première manche, nous sommes bien partis tous les deux. Christian était en tête et je suis passé devant. Je l'ai emmené dans mon sillage toute la manche et je l'ai laissé passer dans le dernier tour. Mais il ne m'avait rien demandé. D'ailleurs en seconde manche je suis parti devant.
1986, l'objectif est le titre mondial. Avais-tu allégé ton programme des cross inters ?
JV : A partir de 1984, j'ai privilégié les GP aux cross inter. En 1986, j'ai dû participer à 5 courses en début de saison. De mémoire Beaucaire et Gimont. (NDLA : Beaucaire 2è, Gimont 1er, St Lô 1er, Thomer la Sogne 2è et Castelnau 1er !!)
Est-ce que la saison de Grand Prix avait "altéré" tes résultats en championnat de France ?
JV : A l'époque, la question de participer ou pas au championnat de France ne se posait pas. Il faisait donc partie de mon programme et comme toutes les courses auxquelles je prenais part, l'objectif était de gagner. Pour répondre à ta question, c'est non. A Tilly, je chute en première manche alors que j'étais en tête et en seconde je suis victime d'une casse mécanique. Et à Crozant, je casse l'axe de roue avant en légère descente à pleine vitesse et j'abandonne la première manche.
En 1987, c'est la fête à St Lô ? Comment fut-il possible d'organiser un motocross gratuit ?
JV : Il faudrait la poser à Papa, cette question. Papa pensait que pour ce sport qui était rural, le prix était un frein pour venir voir du motocross. Pour cette organisation, il y avait trois occasions pour lui : la finale du championnat de France, Christian jouait le titre et j'effectuai mon retour. C'était quelque chose à tenter. L'entrée gratuite, mais le parking était payant. Il y eut de mémoire 12 000 spectateurs. Ce fut une réussite totale. D'ailleurs, il n'y eut pas assez de boissons et de sandwiches aux buvettes !
Yavait-il eu des "consignes" pour aider Christian ?
JV : J'étais prêt à le faire. S'il y avait eu besoin, oui. Mais avant tout j'étais compétiteur, je voulais gagner. Je m'étais dit, si je suis en tête et si Christian et Yannig sont en bagarre tous les deux, je les laisse s'expliquer et je fais ma course. Par contre, je surveillais un peu la course derrière moi et ça s'est joué à très peu de choses. Et ce fut mieux ainsi, il n'y a rien eu à redire.
Comment aviez-vous fêté le titre avec Christian ?
JV : Je ne me souviens pas. Par contre, je connais une petite anecdote. C'était la tradition de payer le champagne, quand on était champion. Yannig était venu avec du champagne, mais Christian n'en avait pas acheté. Et bien il a acheté les bouteilles de Yannig pour fêter le titre !
1988, tu renoues avec un titre national, mais avec un "accroc" au grand chelem : 7è à La Couronne. Est-ce que tu partais bien en général ?
JV : En général je partais bien, mais surtout en 1988 ! Toute ma vie, j'ai rêvé du statut de pilote usine. Avec Sonauto, j'étais pilote officiel Yamaha, mais je n'étais pas pilote usine. Par contre en 1988, je l'étais, avec une vraie moto usine. Une YZ d'usine ! Pour revenir à La Couronne, j'étais parti en tête mais j'avais crevé de l'arrière. Je m'étais arrêté pour changer de roue, j'avais perdu beaucoup de temps et finalement j'étais remonté septième !
1989 : comment as-tu vécu la dernière manche du championnat ? Si Y.Kervella la gagnait, tu perdais le titre ?
JV : C'est tout simple. Je m'étais cassé le scaphoïde au GP de Belgique à Namur. Je n'avais repris la moto que le lundi et je souffrais beaucoup. Le médecin m'avait fait une injection avant le départ. J'ai roulé en première manche et je termine deuxième, mais c'était n'importe quoi ! J'avais la main qui sautait du guidon, je ne sentais plus ma poigne, je m'étais fait une frayeur en fin de manche, je me sentais débile : "tu as des titres, qu'as-tu à prouver ?" J'ai eu une deuxième injection avant le départ de la seconde manche. Je pars pas trop mal, puis je chute lourdement sur mon poignet. J'ai tenté de continuer un tour, mais j'avais trop mal, c'était pas raisonnable. Il ne fallait pas risquer sa vie. C'est un sport dangereux, il fallait mettre des limites. Yannig est remonté sur Ludovic Lucquin, mais il ne l'a pas doublé et j'ai terminé champion.
1990 : tu commences bien le championnat avec 2 victoires, Gueugnon et Château du Loir et tu es encore dans le coup après Romagné. Au moment d'arrêter ta carrière, as-tu pensé à continuer uniquement le championnat de France pour décrocher un dernier titre ?
JV : Absolument pas. C'était devenu trop douloureux. J'avais des infiltrations, il y avait des douleurs qui ne passaient pas. Je me suis dit qu'en descendant en 250cc, j'aurais peut-être moins mal. Mais en roulant, je me suis aperçu que systématiquement et naturellement, je ne prenais pas certaines trajectoires. Je me faisais passer car je ne prenais pas ces trajectoires. Je suis allé voir le professeur Saillant : "qu'est-ce qu'on peut faire ?". Il me dit : "tu as essayé, tu es revenu, tu es un grand garçon, tu sais ce que tu as à faire." Je ne m'attendais pas à ça et j'ai compris au bout de trois minutes. Le professeur avait fait un excellent travail pour me réparer après mon accident, et dans un sport exigeant, il faut savoir arrêter. Mais j'avais une conscience professionnelle et j'étais gêné pour les sponsors. J'ai cherché un pilote pour reprendre la moto et l'encadrer. Nicolas Cailly n'était engagé avec personne. Et nous avons réalisé une belle saison.
Parmi tous ces titres nationaux, lequel retiens-tu plus particulièrement ?
JV : Le juniors. C'était vraiment la découverte : comment va être la terre du circuit, est-ce qu'il va y avoir des cailloux ? C'était excitant, on retrouvait les copains, on avait la satisfaction de se battre sur la piste. La seule rivalité en dehors de la compétition, en fait, c'était pour les filles !
Tu as roulé à Bercy, mais pas en championnat de France de supercross, pourquoi ?
JV : C'était trop tard, cela demandait un investissement trop important par rapport à la fin de ma carrière. J'ai adoré le supercross, ça me plaisait. Mais pour moi, il est arrivé en retard de 2-3 ans. En tout cas, je me disais que c'était une bonne chose pour le motocross.